Confrontation entre le président et le Parlement en Moldavie sur l’orientation politique du pays
Pour la troisième fois en trois mois, le 5 janvier, le président de la Moldavie Igor Dodon a été suspendu temporairement de ses fonctions par la Cour constitutionnelle moldave. Celui-ci avait mis son veto à la signature d’une loi interdisant la diffusion de certains médias russes en estimant qu’elle allait à l’encontre des principes démocratiques. Les suspensions ont eu lieu dans un contexte très particulier des relations de la Moldavie avec la Russie et l’Union européenne (UE). Alors que le Parlement et le gouvernement moldaves visent le rapprochement et l’intégration dans l’UE, le président prorusse se prononce « catégoriquement contre la détérioration des relations avec les partenaires russes ».
L’échec du gouvernement proeuropéen en 2015
Depuis le début des années 2000, la Moldavie mène une politique de coopération avec l’UE, notamment dans le cadre de la politique européenne de voisinage. La politique du rapprochement avec l’UE a abouti à un accord d’association, signé le 27 juin 2014, impliquant notamment une coopération en matière de politique économique et de législation et la mise en place de réformes de la justice et de l’administration en Moldavie. Pourtant, malgré les efforts du gouvernement moldave, la mise en œuvre de l’accord a été ralentie par la situation politique interne de la Moldavie, particulièrement instable.
La Moldavie actuelle est un État marqué par de forts taux de pauvreté et de corruption, ainsi que par une instabilité politique chronique. La méfiance envers les institutions étatiques a été davantage exacerbée suite à un scandale bancaire en 2015, causé par la disparition d’un milliard USD des caisses de trois banques moldaves, une somme équivalent à 12% du PIB du pays. Cette affaire a eu pour conséquence la mise en cause de la légitimité du gouvernement libéral proeuropéen, au pouvoir depuis six ans, et plusieurs vagues de manifestations. Au niveau international, celle-ci a également provoqué une réaction immédiate de l’UE, du Fond monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, qui ont gelé temporairement leur assistance financière à la Moldavie.
Le « tournant prorusse » d’Igor Dodon
C’est dans ce contexte qu’Igor Dodon, candidat du Parti socialiste et révolutionnaire de Moldavie, est arrivé au pouvoir. Élu président en novembre 2016, il se prononce ouvertement prorusse et, suivant cette ligne politique, il vise le rapprochement avec l’UEE (Union économique eurasiatique). Étant donné que le nouveau président ne la trouve pas compatible avec l’accord d’association signé avec l’UE, l’avenir de ce dernier est désormais en question. Pourtant, le pouvoir du président moldave est limité de manière significative par le Parlement, dont la majorité appartient au Parti démocratique de Vladimir Plakhotnuk, un oligarque et un des hommes politiques les plus influents en Moldavie. Le Parti démocratique vise à restreindre l’influence de la Russie, ce qui va à l’encontre des objectifs du président Dodon. Leur confrontation a atteint un niveau d’intensité sans précédent en 2017, résultant en plusieurs suspensions temporaires du président. Elle a eu également des répercussions au niveau de la politique étrangère, notamment l’expulsion de cinq diplomates russes en mai 2017.
La Moldavie entre l’UE et la Russie
La Russie exerce toujours une certaine influence en Moldavie, bien que réduite depuis la chute de l’URSS. Elle reste liée à la Moldavie par leur héritage historique et culturel proche, mais aussi par la situation en Transnistrie (la République moldave du Dniestr, État auto-proclamé et non-reconnu par l’ONU). Des forces russes de maintien de la paix y sont déployées depuis 1995, à la suite d’une guerre civile (1992) et empêchent ainsi la Moldavie d’exercer sa souveraineté sur ce territoire. De plus, en raison de la crise économique au pays, de nombreux Moldaves partent travailler à l’étranger, y compris en Russie où résident presque un demi-million de Moldaves en 2017. La Russie n’hésite pas à utiliser ce levier lors des négociations avec la Moldavie, comme ce fut le cas en mars 2017 (l’amnistie pour les travailleurs migrants moldaves illégaux).
Ainsi, la Moldavie, comme certains autres États de l’espace post-soviétique se trouve face à un choix géopolitique majeur. Cette donne est devenue un enjeu particulièrement actuel suite à la crise du système de sécurité européen provoquée par le conflit russo-ukrainien et par la polarisation des relations entre la Russie et l’UE qu’il a provoquée. En effet, le gouvernement moldave proeuropéen avait essuyé un échec suite à plusieurs scandales de corruption et ce contexte avait permis à un candidat prorusse de remporter l’élection présidentielle. Pourtant, cela ne signifie pas l’échec de la politique proeuropéenne en général, mais plutôt l’échec des réformes judiciaires en Moldavie. Le « tournant prorusse » opéré par Igor Dodon semble voué à l’échec vu que la Russie, qui continue à appuyer le président, ne serait probablement pas en mesure de soutenir la Moldavie financièrement ou politiquement.